Rencontres avec Sylvain Tesson aux « Correspondances de Manosque »

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Entre deux voyages sur les hauts plateaux tibétains, « Les Correspondances de Manosque » ont accueilli en ouverture ce mercredi soir l’aventurier-voyageur-écrivain Sylvain Tesson.

Des forêts de Sibérie, aux sentiers touchant le ciel en Himalaya, en passant par le chemin des évadés du goulag son parcours est riche de réflexions sur l’essence même d’une vie et le sens que nous lu accordons.

Sobriété, espace, temps… Il les touche magnifiquement dans son aventure retranscrite « dans les forêts de Sibérie » où il s’immerge 6 mois dans une cabane sur les bords du Baïkal.

Dans un monde de 9 milliards d’habitants, le silence et l’espace se négocieront plus cher que l’or.

Voyage autant intérieur qu’extérieur et retour à l’essence même d’une vie faite de petits rituels : pécher, couper du bois, lire, explorer, contempler et penser loin du brouhaha et de l’agitation du monde. Une réflexion sur la décroissance, pendant qu’autour de lui tout s’accélère.

Si cela se trouve, nous finirons de plus en plus nombreux en cabane. A mesure que le monde se confirmera invivable – trop bruyant, trop peuplé, trop confus et trop chaud -, certains d’entre nous gagneront les bois. La forêt deviendra le recours des exilés de leur époque. De petites communautés se replieront sous les futaies, défricheront des clairières, s’y créeront une vie joyeuse, protégée du fracas moderne, hors de portée des tentacules urbains. Dans l’Histoire, à chaque fois que le monde s’est embrasé, les bois ont tendu le refuge de leurs nefs. Le tonnerre de la technique, les tremblements de la guerre roulent jusqu’à l’orée des frondaisons mais n’y pénètrent pas. L’autorité des villes s’arrête, elle aussi, aux lisières. Et les forêts, rompues à l’éternel retour des printemps, ne s’étonnent jamais que des âmes mélancoliques viennent chercher refuge sous leurs voûtes.

Dans « La particule » extrait d’une vie à coucher dehors, on y suit les traces rythmées d’une particule :

Je roulai jusqu’au Gange dans un flot indistinct d’alluvions et d’ordures. A peine dans les eaux du fleuve, je fus filtrée par les ouïes d’une perche. (…) Je m’infiltrai dans les granules de sable et les cristaux d’argile. La radicelle d’un arbuste m’aspira et me propulsa dans la tige. La succion de la sève m’injecta dans la nervure d’une feuille. (…) Je coulai dans la trachée d’un jeune anglais et m’épanouis dans sa viande. (…) Et moi, misérable particule, cellule anonyme, pauvre poussière d’atome, je vous supplie, ô dieux du ciel, de me donner le repos, de me délivrer du cycle et de me laisser gagner le néant…

Dans son dernier ouvrage, « La Panthère des Neiges », Sylvain accompagne le photographe Vincent Mugnier à 5000m d’altitude sur les hauts plateaux tibétains. A l’affût de ce félin discret et très craintif venu s’éloigner de l’humanité pour y trouver un territoire de repli où il s’est adapté. Là où la population recule, la faune avance et se déploie… et inversement !

Des conditions d’observation très difficiles, cachés très souvent pendant une trentaine d’heures par des températures glaciales pour avoir une chance d’observer au loin : comme il le dit si bien, « au tout, « tout de suite », de l’épilepsie moderne s’opposait l’incertitude et le « sans doute jamais rien » de l’affût. »

Page 123 de ce récit, on y voit une photo de Vincent Mugnier: un faucon qui s’était posé à quelques mètres de lui et c’est en travaillant sa photo six mois plus tard qu’il s’est aperçu que derrière l’oiseau il y avait une panthère. Ce que l’œil ne voit pas, l’esprit l’occulte.

Au travers de ces nombreux récits, Tesson nous apprend que la poésie est sous nos yeux et qu’il suffit de savoir la déchiffrer pour donner un sens à nos chemins.

Par la qualité des ses écrits et la grâce de ces mots qui s’agencent sur le papier, Tesson rend un hommage vibrant au monde sauvage qui se réduit petit à petit, à la contemplation et au pas de côté nécessaire sinon vital afin de s’isoler et de réfléchir. Et avec la douce harmonie émanant de la contemplation solitaire, du silence et du sentiment de l’éternité, on se dit peut être que voir loin revient en fait à voir au fond de soi. La beauté pour imprégner l’âme…

Extrait de cette rencontre :